COVID-19 : les mesures envisagées par l’UE pour éviter une nouvelle crise de liquidité

05/10/2020

En ce début de mois d’avril 2020 et ce dans un contexte pandémique sans précédent, le ministre de l’Économie et des Finances a lancé une alerte au sujet des conséquences économiques en France de l’épidémie COVID-19, évoquant par là-même la possibilité, de connaître en 2020 la pire année de récession économique depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Cette crise sanitaire actuelle a soulevé d’ores et déjà des questions d’ordre politique et socio-économique. Ces dernières auront indéniablement des impacts sur les différents secteurs d’activité y compris sur l’industrie d’assurance.

En 2020, la pire récession « depuis 1945 » (Bruno Lemaire)

Dans ce contexte, le présent billet ADDACTIS a pour but de présenter les principaux impacts macro-économiques observés à ce jour ainsi que les mesures discutées sur la scène politique afin de limiter les effets de cette crise sanitaire sur la situation financière des États.

Des taux durablement bas

Au niveau de la zone euro, la Banque Centrale Européenne (BCE) envisage dans son dernier rapport macro-économique une croissance nulle ou négative en 2020

en fonction du niveau de propagation de l’épidémie. Plus particulièrement, une incertitude demeure quant à la durée et la sévérité de la crise sanitaire qui oblige aujourd’hui plus de la moitié de la planète à être en confinement. De ce fait et au vu des impacts déjà constatés au niveau des marchés financiers, la BCE a retenu deux scénarios défavorables en termes de durée et de propagation du COVID 19 accompagnés, de scénarios plus sévères reposant sur des chocs financiers additionnels.

Par conséquent, dans un climat de dégradation de perspectives de croissance et d’inflation de la zone euro, une éventuelle hausse des taux d’intérêts semble peu probable et ce, malgré l’arrêt de la politique d’assouplissement quantitatif (ou quantitative easing) par la BCE. Enfin, le maintien du niveau des taux actuels est prévu jusqu’au retour durable de l’inflation légèrement sous les 2%, comme précisé au niveau du communiqué relatif aux décisions de politique monétaire du 23 janvier 2020.

Par ailleurs, alors que les taux sont négatifs en Europe, les États-Unis suivent un chemin similaire qui s’est accéléré suite à l’apparition du COVID 19. En effet, la Réserve Fédérale des États-Unis (ou Federal Reserve System (FED)) a pour habitude de revoir à la hausse ou à la baisse les taux directeurs (fed funds rate ou overnight index swap rate) de 25 bp en moyenne lors des FOMC meeting tenus tout au long de l’année. Ces derniers avoisinaient les 1%, 1,25% avant l’événement COVID 19. Suite à cette épidémie, c’est la première fois que la FED réduit de 1% (en deux temps) son taux directeur pour aboutir à un taux compris actuellement entre 0% et 0,25%[1].

Des marchés financiers encore plus volatils

Le comportement actuel des marchés financiers est plus volatil que celui observé lors de la crise financière de 2008.

Parmi les mesures adoptées en Europe pour limiter cette volatilité, il est possible de citer la décision de l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’interdire toute nouvelle création de position courte nette ainsi que toute augmentation d’une position existante et ce, pendant un mois (du 18 mars 2020 au 16 avril 2020)[2].

Les dispositifs d’urgence ont également été déclenchés aux États-Unis. À titre d’exemple, le circuit breaker ayant pour but d’éviter les mouvements de panique et empêcher la bourse de s’effondrer, a été activé plusieurs fois ces dernières semaines. Il est à rappeler que ce circuit breaker a été intégré après le krach d’octobre 1987, à la demande du Congrès américain.  Ce dernier permet de suspendre, pendant quelques minutes, toute négociation sur des actions, dans le cas de franchissement de paliers à la baisse. Enfin, il est à noter que le circuit breaker a été appliqué uniquement une fois durant la crise de 2008 et n’a pas été activé depuis.

Le marché a atteint des niveaux de volatilité dépassant ceux observés lors de la crise financière de 2008

Par ailleurs, il est possible de suivre la volatilité des marchés financiers à partir de différents indicateurs. Le tableau ci-dessous présente un exemple d’évolution de l’indice VIX qui permet de mesurer la volatilité des actions américaines :

Figure 1 : Evolution de l’indice VIX depuis 2003

Il est à noter que cet indicateur a atteint des valeurs très significatives en mars 2020 dépassant son niveau maximal observé lors de la crise de 2008.

Qu’en est-il de la Liquidité ?

La liquidité est un facteur clé qui impacte directement l’économie du pays et par conséquent les secteurs d’activité y compris l’industrie d’assurance ainsi que le comportement des ménages. Plus particulièrement, l’un des principaux impacts sur les ménages correspond aux opérations de rachats massifs liés à la perte de confiance en l’environnement économique. Ce risque de liquidité devrait être suivi d’autant plus que les impacts de la crise de 2008 n’ont pas encore été entièrement absorbés dans certains pays.

Par ailleurs, il est à noter que les activités de fusions-acquisition sont également ralenties dans le contexte pandémique actuel en raison des problématiques de liquidité.

Dans ce contexte, un ensemble de mécanismes en cours de discussion par les États de la zone euro sont envisagés et détaillés infra. La décision finale devrait être rendue suite aux réunions en cours de l’Eurogroupe qui ont été prévues entre le 07 et le 09 avril 2020.

Mécanisme Européen de Stabilité : jusqu’à 240 milliards d’euros

Cette mesure est principalement poussée par l’Allemagne (au même titre qu’en 2008) et suggère de proposer des aides sous conditions. Cette suggestion risque encore une fois d’être rejetée par les pays du sud de l’Europe en raison de la politique d’austérité budgétaire résultante.

Nouveau dispositif Européen SURE (Support to mitigate unemployment risks in emergency), pour réassurer le chômage : jusqu’à 100 milliards d’euros

Ce dispositif a été annoncé le jeudi 02 avril 2020 et a pour but de protéger, à travers le chômage partiel, les activités touchées pleinement par l’épidémie. Ainsi, en plus des mécanismes d’assurance chômage qui s’appliquent au niveau national, ce régime européen de réassurance a été pensé pour faire face aux chocs externes sévères[1].

La démarche sous-jacente à cette approche consisterait en un emprunt, de la part de la Commission, sur les marchés financiers. De ce fait, les pays membres pourraient bénéficier des coûts d’emprunt relativement faibles de la zone euro et seraient plus à même de supporter les coûts engendrés par la mise en chômage partiel.

Nouvelle garanties de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) : jusqu’à 200 milliards d’euros

Cette mesure suggère de créer un fonds de garantie paneuropéen équivalent à 25 milliards d’euros afin de permettre au groupe BEI de soutenir à hauteur de 200 milliards d’euro l’économie des pays de la zone euro. Plus particulièrement, ce fonds viendrait en aide aux entreprises européennes devant faire face au manque de liquidité. Ce dernier pourrait être alimenté par les contributions des États membres ainsi que celles d’autres institutions de la zone euro.

Il est à noter que ces trois mesures citées ci-dessus risquent d’alourdir le niveau d’endettement des pays demandeurs.

Corona Bond pour une dette commune des États

Il est à rappeler qu’en 2008 un dispositif d’émission d’obligations concernant la zone euro (euro bond) et correspondant à une « dette collective » avait été proposé et rejeté principalement par l’Allemagne. Récemment, une proposition similaire d’émettre des obligations nommées Corona Bonds ayant pour but d’aider les pays européens en difficulté est en cours de négociation. Plus particulièrement, cette idée d’une dette commune des États a été suggérée par les pays du sud de l’Europe mais pourrait être rejetée pour des raisons similaires à celles de la crise financière de 2008.

Enfin, il est à noter que dans le cas où le mécanisme Corona Bond ne serait pas retenu, les pays endettés devraient probablement s’endetter davantage.

L’achat illimité de la dette par la BCE

L’objet de cette mesure est de permettre à la BCE d’acheter des obligations de manière illimitée afin d’augmenter la liquidité des États. Cette mesure risque également de ne pas être acceptée particulièrement par l’Allemagne pour des raisons similaires à celles relatives au mécanisme Corona Bond. En effet, l’Allemagne, en meilleure situation financière, ne souhaiterait pas servir de coussin de sécurité lors des investissements de la BCE.

Plan de relance américain « monnaie hélicoptère » ou « Helicopter money »

L’objectif de ce plan de relance est d’inciter les citoyens à consommer pour relancer, entre autres, la production ainsi que les investissements, suite à l’occurrence d’une crise.

Cela se matérialise au travers du financement des citoyens par la Banque Centrale, de manière directe ou indirecte via des bons du trésor émis par le gouvernement d’un pays. Ces bons du trésor sont achetés dans un second temps par la Banque Centrale qui supprime la dette de ses comptes.

Il s’agit d’une mesure qui est envisagée actuellement aux États-Unis, où le Trésor américain étudie la possibilité de financer directement les ménages américains afin de relancer leur consommation.

Par ailleurs, il est à noter que l’Helicopter money présente quelques similitudes avec le mécanisme de quantitative easing mais sans orientation de marché interbancaire étant donné que le financement s’effectue directement auprès du citoyen.

Enfin, cette mesure devrait être minutieusement étudiée car risquerait d’engendrer des tensions inflationnistes résultant de la création ex-nihilo de la monnaie générée.

La liquidité un enjeu à suivre…

La crise sanitaire en cours liée à l’épidémie de COVID-19, induit dès à présent des impacts significatifs sur l’environnement politique et socio-économique conduisant, entre autres, les autorités financières à en circonscrire au maximum les effets. Toutefois, personne ne sait aujourd’hui si ces mesures seront suffisantes, en particulier si les périodes de confinement devaient se prolonger sur plusieurs mois.

Enfin, l’un des principaux enjeux identifiés réside en une gestion adéquate de la liquidité de la dette des États. Cela aura des répercussions sur le comportement des ménages et par conséquent sur l’activité économique générale y compris celle de l’industrie d’assurance qui devra s’adapter en conséquence. Le gouvernement et les grandes compagnies d’assurance seraient d’ailleurs d’ores et déjà en discussion autour de la création d’un nouveau régime d’assurance de catastrophe sanitaire qui permettrait aux entreprises de se prémunir demain contre de tels événements.

Laurent Devineau,   Executive Partner
Marielle de La Salle, Head of Modeling Lab
David Mariuzza, Head of  Modeling & Finance
Ines MANAI, Consultante

[1] L’historique des évolutions des taux directeurs suite aux FOMC meeting sont accessibles sur le site de la Réserve Fédérale
[2] La décision de l’AMF a été émise le 17 mars 2020
[3] Les détails de ce dispositif ont été présentés par la Commission Européenne.

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