COVID-19 : les impacts sur la réforme réglementaire dans la zone CIMA

02/04/2020

Alors que la réforme règlementaire sur le capital social minimum des sociétés d’assurance en zone CIMA devait entrer dans son ultime phase d’application, l’impact de la crise du COVID-19, susceptible de gravement porter atteinte à la rentabilité des opérateurs d’assurance de la zone, pourrait occasionner quelques ajustements concernant l’agenda initialement prévu par le superviseur.

Un marché de l’assurance instable et réglementé en 2016

Le secteur des assurances en Afrique subsaharienne francophone a longtemps souffert d’un déficit d’image, la faute à des politiques de gouvernance discutables d’une poignée d’acteurs, symbolisées par des frais généraux parfois exorbitants et des cadences de règlements des sinistres pouvant s’étaler sur de très nombreuses années.

Convaincu que l’assainissement du secteur passerait par une consolidation des fondamentaux de solvabilité, aux conséquences assumées sur la densité numérique d’acteurs agrémentés, le superviseur a pris le parti d’engager une réforme qu’il jugeait salutaire.

C’est donc dans ce contexte qu’en avril 2016, la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances[1] validait, par modification et complétion des articles 329-3[2] et 330-2[3] de son code des assurances, l’augmentation du montant minimal de capital social à détenir, pour tout assureur souhaitant opérer dans l’espace CIMA. Jusqu’alors de 1 milliard de francs CFA pour les sociétés anonymes d’assurance, et de 800 millions de francs CFA pour les sociétés d’assurance mutuelles, les nouveaux minimas en vigueur à partir de 2021 sont alors passés à 5 milliards de francs CFA, pour les premiers, et à 3 milliards de francs CFA, pour les seconds.

Toutefois, du fait de l’importance de ces hausses, des montants cibles intermédiaires – respectivement 3 milliards et 2 milliards de francs CFA – à atteindre au bout de trois ans ont été décidés, afin de lisser les impacts bilanciels dans le temps et d’assurer un rythme suffisamment soutenu pour garantir l’atteinte des objectifs à 5 ans.

Une réforme passée sans consensus et trop ambitieuse ?

Dès son adoption, la mesure dut faire face à des levées de boucliers, ses détracteurs reprochant principalement le manque de concertation en amont avec les principales parties prenantes, et arguant également qu’une telle réforme pourrait conduire à la disparition de nombreux acteurs, voire même, de marchés entiers dans certains pays où seuls des assureurs de tailles modestes opèrent.

Le rythme observé des mises en conformité semblait d’ailleurs leur donner en partie raison, puisqu’à fin 2018, nombreux étaient les acteurs de la zone n’ayant pas encore atteint le niveau intermédiaire de capital social de 3 milliards de francs CFA.

Le graphique ci-après fournit de manière agrégée, l’état d’avancement des mises en conformité règlementaire des acteurs au sein des principaux[4] marchés de la zone CIMA.

 

On constate qu’à quelques mois de l’échéance intermédiaire fixée par la réforme, à savoir mai 2019, seuls les marchés ivoiriens, gabonais et camerounais atteignaient globalement la contrainte règlementaire.

Mais lorsque l’on s’intéresse à la situation à la maille acteur, on note que la situation est contrastée, même au sein des marchés qui validaient pourtant globalement la contrainte règlementaire des 3 milliards de francs CFA.

On constate donc qu’à fin 2018, aucun marché n’atteignait les 50% de taux d’atteinte, et que les marchés les plus étroits étaient ceux aux taux d’atteinte les plus faibles ; quand bien même le faible nombre d’acteurs opérant au sein de ces marchés aurait pu permettre d’atteindre des niveaux très élevés.

Une réforme à l’impact certain sur une rentabilité déjà fragile

Face à de tels niveaux d’atteinte du capital cible intermédiaire, il semble légitime de s’interroger sur les causes d’un tel phénomène, ainsi que sur les chances d’atteindre d’ici à 2021 le niveau requis par la réforme.

Une analyse des dispositifs permettant l’augmentation de capital paraît nécessaire pour identifier les raisons expliquant les difficultés qu’ont eu les assureurs à se mettre en conformité.

On dénombre deux principaux dispositifs : l’augmentation de capital via des investisseurs externes d’une part, ou via une incorporation d’éléments de fonds propres, d’autre part.

Deux explications semblent donc possibles : soit les investisseurs n’ont pas jugé l’opportunité suffisamment intéressante, soit les résultats sur la période 2016-2018 n’ont pas été suffisants pour opérer cette montée en capacité de fonds propres. Dans les deux cas, la problématique de rentabilité du secteur semble centrale.

Le graphique ci-dessus est particulièrement instructif, et permet de mettre en exergue trois éléments essentiels.

Premièrement, il permet de noter la corrélation entre niveau de primes émises et résultat, tout en soulignant les singularités, en terme de rentabilité, des différents marchés : 1 franc de prime ne rapporte pas la même chose sur le marché ivoirien, que sur le marché sénégalais par exemple.

Deuxièmement, à fin 2018, les niveaux de rentabilité des fonds propres des marchés de la zone CIMA étaient globalement attractifs puisqu’ils atteignaient 13% en moyenne – et même 16% si l’on ne prend pas en compte le cas du Gabon. Toutefois, de grandes disparités existent, même au sein des pays aux ratios les plus élevés : on dénombre en effet, au moins 4 sociétés sur le sol ivoirien – soit plus de 12% –, dont le résultat d’exploitation était négatif à fin 2018.

Troisièmement enfin, il semblerait qu’un niveau minimal de primes émises sera nécessaire pour atteindre une rentabilité de 10%, lorsque le capital minimal passera à 5 milliards de francs CFA ; niveau minimum qui semble difficilement atteignable par les marchés les plus étroits et les sociétés de tailles modestes. Notons par ailleurs, que le taux de 10% supposé attendu par les investisseurs peut se justifier : il correspondrait à un taux long terme d’une obligation émise par un Etat de la zone, majoré d’une prime de risque de l’ordre de 400 points de base.

On peut d’ailleurs raisonnablement penser que la question de ce montant minimal de primes émises permettant d’obtenir une rentabilité des fonds propres suffisante une fois la réforme définitivement mise en place, a joué un rôle important dans le choix d’Allianz de vendre certaines de ses entités au groupe SUNU ASSURANCES[5].

Une crise du COVID-19 aux effets potentiellement dévastateurs

Mais quand bien même les marchés n’arriveraient pas tous à offrir 10% de rendement à de potentiels investisseurs, sous l’hypothèse d’un capital social moyen de 5 milliards de francs CFA, les rendements agrégés des fonds demeurent à niveaux acceptables.

En effet, le Gabon toujours mis à part, sous l’hypothèse d’un capital social moyen de 5 milliards de francs CFA et de niveaux de réserves et reports à nouveau égaux à ceux de 2018, les taux de rendement des fonds propres sont proches des niveaux de taux de coupons des obligations long termes émises par les Etats de la zone.

Toutefois, ce sont les fortes disparités, déjà évoquées, au sein des marchés de l’espace qui interrogent, et les observations liant niveau de primes émises et rentabilité peuvent faire craindre le pire dans la situation actuelle de crise sanitaire.

En effet, comme évoqué dans les billets Etats des lieux de la crise du COVID-19 et du marché des assurances en zone CIMA et Impacts du COVID-19 sur la sinistralité auto et MRH, des baisses de collecte significatives pourraient être à prévoir sur les branches non vie, qui sont les locomotives de l’assurance au sein de la zone CIMA.
Il est également fait mention dans le premier billet, de l’impact des mesures de restriction, qui pourrait être considérable. La durée de ces mesures ainsi que leur niveau de contrainte seront d’ailleurs des données essentielles pour toute tentative de quantification.

La baisse des indices boursiers – au 28 avril, l’indice BRVM[6] Composite avait par exemple perdu 13% de sa valeur du 31 décembre 2019 – ainsi que les hausses de primes de risque[7] ont très fortement impacté à la baisse, la valorisation des actifs des sociétés d’assurance. Ce sont des éléments qui peuvent également peser lourd dans la balance ; le risque majeur étant que ces actifs en fortes moins-values, ne permettent plus de régler des sinistres en nette hausse. On identifie alors bien l’enjeu qui se joue et l’impact implicite sur le résultat financier.

Par ailleurs, la hausse de la sinistralité qui est à prévoir sur les contrats santé souscrits avant la crise sera à surveiller très attentivement.

En effet, si cette sinistralité venait à s’écarter de manière trop importante des anticipations utilisées lors de la tarification des contrats, il faudrait rajouter à la déjà longue liste des impacts identifiés, celui d’une pratique bien identifiée dans la zone : la sous-tarification.

Il y a donc fort à parier, que les acteurs qui auront fait preuve de la plus grande rigueur en terme de tarification et de provisionnement, ainsi que ceux dotés de politiques et d’outils de gestion des risques financiers performants, s’en sortiront mieux que les autres.

Enfin, un élément moins évoqué, mais tout aussi impactant, est celui des aides que les organes étatiques consentiront à apporter aux acteurs du secteur, en terme de charges sociales et d’impôts notamment. Sans ces aides, qui ont très rapidement été annoncées en France par exemple, ce n’est pas uniquement la rentabilité du secteur qui serait en jeu, mais peut-être sa survie.

Les données chiffrées ne sont malheureusement pas légion à l’heure actuelle, mais pour tenter de définir un intervalle dans lequel pourraient évoluer les rendements des fonds propres une fois impactés par la crise, nous avons arrêtés deux scénarios : un central et un pessimiste.

Concernant le scénario central, nous anticipons une baisse du résultat[8] de 25% sur l’année 2020. Cela correspondrait à une interruption des mesures assez rapide, une sévérité modérée du virus dans la zone ainsi qu’une reprise progressive et soutenue des activités.

Le scénario pessimiste quant à lui, verrait une baisse de 60% du résultat [8] de l’année 2020. Dans ce scénario, l’anticipation correspondrait à un maintien des mesures jusqu’à la fin du premier semestre au moins, une trésorerie amputée ainsi qu’une reprise plus poussive des activités.

 

Le graphique suivant reporte des taux de rendement de fonds propres estimés à 2021 impactés par des baisses de 25% et 60% du résultat de 2018.

On constate que le scénario pessimiste ferait passer le rendement moyen des fonds propres des acteurs de la zone CIMA à 2,6%. La situation serait encore plus dégradée si on ne prenait pas en compte le marché ivoirien. En effet, sous cette hypothèse, le taux de rendement moyen des fonds propres passerait sous les 2%. Ces estimations ne sont pas des prédictions, mais elles permettent d’avoir une idée de comment pourrait se comporter la rentabilité du secteur, sous deux hypothèses de baisses d’activité fixées. Face à de tels impacts, le secteur perdrait donc inévitablement en attractivité et serait dans l’incapacité de mobiliser le capital nécessaire pour satisfaire aux exigences règlementaires.

Dans le contexte de crise sanitaire que nous vivons actuellement, tenter de mener une réforme d’une telle ampleur et à ce point consommatrice de capital, paraît périlleux.

Car outre le manque d’adhésion de la part des acteurs, la baisse significative des primes émises – conséquence directe des mesures de restriction appliquées sur le continent – dans les zones où la collecte se fait essentiellement en agence, pourrait avoir des répercussions majeures sur la rentabilité du secteur dans l’espace CIMA. Et une fois établie la corrélation entre niveau de primes et rentabilité, une application des mises en conformité au même rythme que celui prévu initialement par la réforme, paraît insoutenable.

Sans doute faudra-t-il s’attendre alors, à ce que des ajustements soient annoncés prochainement par le superviseur, voire à un report jusqu’à nouvel ordre. D’autant que d’autres superviseurs du continent ont déjà annoncé des mesures d’assouplissement comme l’ACAPS[9] au Maroc, pour ne citer qu’elle. 

 

Auteurs de l’article :

Ange BOUYOU-MANANGA , Senior Consultant
Khedija ABDELMOULA-CLAVERIE, Partner – Head of Actuarial Consulting and Risk Life & Health
Laurent DEVINEAU, Partner – Chief Innovation Officer – Deputy CEO ADDACTIS France

[1] La Conférence Interafricaine du Marché des Assurances (CIMA) regroupe 14 pays partageant un code des assurances commun. Par le biais de ses divers organes, la CIMA régit le marché de l’assurance et en supervise officiellement la pérennité. Plus d’informations ici.

[2] Article 329-3 : Capital social – Fonds propres. Consultation de l’article ici

[3] Article 330-2 : Fonds d’établissement. Consultation de l’article ici

[4] Les seuls marchés manquant sont ceux de la  Guinée-Bissau et de la Guinée équatoriale

[5] Sunu rachète cinq filiales du groupe Allianz.

[6] La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est une bourse qui côte des valeurs sur l’ensemble des huit pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).

[7] L’indice AGR Africa Bond ressort en baisse de 23,6% au premier trimestre | leboursier.ma

[8] On suppose le résultat 2020 sans impact égal à celui de 2018

[9] Autorité de Contrôle des Assurances et de la Protection Sociale

 

 

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