La créativité de l’assurance à l’épreuve du Covid-19

05/10/2020

Le secteur de l’assurance est critiqué depuis plusieurs semaines pour son absence de prise en charge de la perte d’exploitation sans dommage des nombreux commerces ou entreprises pénalisés par l’épisode pandémique actuel. Emmanuel Macron a rappelé le 13 avril que « les assurances doivent aussi être au rendez-vous de cette mobilisation économique ».

Rappelons que cette garantie spécifique est très majoritairement non-incluse dans les contrats, et que le montant de sa prise en charge – estimé à 50 milliards d’euros – serait insoutenable par le secteur seul.

Pourtant la polémique qui l’entoure ne doit pas masquer les initiatives variées et créatives proposées par les assureurs depuis les premiers jours de l’état d’urgence sanitaire, et ce malgré les contraintes réglementaires et la tension financière auxquelles ils sont eux-mêmes soumis.

Comme l’a rappelé Pascal Mignery dans une tribune sur LinkedIn sur le rôle fondamental de l’assurance, à savoir le pilotage de l’aléa et de la mutualisation, la valeur actuelle probable des engagements couverts n’intègre pas « dans ses calculs de mutualisation des risques non souscrits, non inventés, non sollicités par ses adhérents ». Car « en cas de crise, l’aléa disparaît, et avec lui la mutualisation. Gérer une crise mondiale ou sanitaire n’est pas un travail d’assureur, c’est le rôle des États et des pouvoirs publics ».

La méconnaissance de ces mécanismes biaise le regard porté sur tout un secteur, et la multiplicité des communications et solutions apportées parfois de façon individuelle et désorganisée par les organismes renforce cette perception d’une industrie opulente et malhonnête. En réalité, dès l’annonce des premières mesures de confinement, les assureurs en France et dans le monde ont bien cherché à soutenir leurs clients, sous différentes formes. Leur créativité et leur réactivité réaffirment leur « rôle d’investisseur [et] de protecteur de la croissance économique, […] des individus ou des entreprises ».

Des actions de soutien économique et financier

Des initiatives portées par les fédérations…

Dès mi-mars, les groupements d’assureurs du marché français ont annoncé des premières mesures, complétées par de nouveaux engagements la semaine du 13 avril.

Les assureurs (FFA) ont acté le versement de 200M€ au fonds de solidarité de l’Etat (doublé le 13/04 à 400M€) à destination des TPE et des indépendants.

Ils ont en outre proposé un ensemble de gestes commerciaux à destination des assurés (montant total ~1,35Mds€ contre 500M€ initialement annoncés) sous forme d’extension de garanties, de réductions tarifaires, etc., au profit des publics les plus exposés aux conséquences de la pandémie (indépendants, TPE/PME, personnel soignant, ménages en difficulté), et mettent en place un fonds d’investissement commun de plus d’1,5Mds€ (animé par la Caisse des Dépôts) pour soutenir PME et ETI (financement en fonds propres).

Les différentes fédérations portent également les engagements de leurs adhérents : le renouvellement automatique des attestations d’ACS pour prolonger les droits pour un trimestre supplémentaire au moins, la mobilisation du fonds d’aide sociale mutualiste et des établissements et services de soins mutualistes, etc. (FNMF), la prise en charge des jours de carence et la mobilisation du fonds d’action sociale, etc. (CTIP), le paiement différé des loyers (TPE, PME) aux bailleurs immobiliers ou le maintien des indemnités journalières aux personnes fragiles (FFA).

Parallèlement est créé un groupe de réflexion pour proposer les bases d’un régime « catastrophe sanitaire », à l’image de celui qui existe en France pour les catastrophes naturelles (premières propositions prévues en juin 2020).

… Et des initiatives individuelles

Mais la variété des réponses provient surtout de l’initiative des acteurs. On citera par exemple :

  • Report des cotisations pour le deuxième trimestre alors que les garanties sont maintenues (Crédit Mutuel, Aesio, Malakoff-Humanis)
  • Allongement des délais de paiement (nombreux acteurs)
  • Contribution au fonds d’action sociale (organismes recommandés HCR)
  • Don à des associations d’action sociale, des services d’urgences, des groupes de recherches médicales ou de soins hospitaliers, don de matériel (masques, respirateurs, etc.)
  • Congés solidaires (avec abondement de l’employeur, versé à des associations)
  • Versement d’indemnités de crise sanitaire pour les secteurs d’activités les plus pénalisés par la pandémie et ses conséquences
  • Quelques bancassureurs ont annoncé vouloir prendre en charge une partie des pertes d’exploitation, sous forme d’un forfait fixe ou d’une prime de soutien, à destination de leurs petits professionnels. Nous ne détaillerons pas ce point qui fait l’objet d’une importante polémique en cours.

Des modifications / extension de garanties

En assurance santé, la hausse tonitruante du nombre de téléconsultation a conduit aussitôt Pasteur Mutualité à réagir avec l’extension de la RC professionnelle aux actes de téléconsultation.

Parmi les autres initiatives en France, on citera :

  • Suppression du délai de franchise en prévoyance pour le personnel soignant (Ampli Mutuelle, Allianz)
  • Maintien gratuit des garanties en chômage partiel (Pro BTP, FNMF)
  • Garanties offertes à certaines professions exposées pour les personnes non-couvertes (MNH et Unéo)
  • Prise en charge du transport-retour après une hospitalisation, livraison de médicaments à domicile, etc.

En Afrique du Sud, Santam contribue à un fonds de solidarité gouvernemental et a annoncé un maintien de couverture intégral, en priorité pour les clients fidèles.

En Chine et à Hong-Kong, plusieurs assureurs ont étendu leur couverture santé pour prendre en charge les traitements fournis en cas d’atteinte par le virus. A Singapour, le paiement des primes d’assurance santé-prévoyance peut être différé de six mois. Des assureurs comme AIA ou Manuvie proposent une garantie supplémentaire aux contrats actuel : un forfait versé en cas de diagnostic positif pour faire face à la mise en quarantaine et les premiers soins (voire l’éventuelle hospitalisation). Budget Direct propose de la téléconsultation gratuite avec un parcours spécifique de détection du Covid-19.

En Allemagne, plusieurs assureurs se sont engagés à couvrir 10 à 15% des pertes d’exploitation affectants hôtels et restaurants (en Bavière notamment).

Une rétrocession ou des réductions des primes d’assurance

En France : la Maif a décidé de reverser 100M€ à ses sociétaires assurés en Auto, et la Matmut a gelé ses tarifs jusque décembre 2021. Les acteurs recommandés sur la branche HCR ont supprimé pour leurs assurés l’appel des cotisations du second trimestre, tout en maintenant leurs garanties santé et prévoyance.

Aux Etats-Unis, la plupart des gros acteurs de l’assurance automobile (Allstate, State Farm, Geico, Progressive, American Family, etc.) ont annoncé rendre à leurs assurés une partie des primes Auto (de 15 à 25% du montant mensuel selon les acteurs, pour un total avoisinant 6,5Mds$ [USD], un peu plus de 2% du CA annuel de l’assurance auto américaine) en raison de la diminution du nombre de sinistres en lien avec les mesures de lutte contre la propagation du Covid-19.

Des créations d’offres et de services sur-mesure

Expérimenter une offre

Generali a rapidement mis en place une offre Covid Protection Salariés, qui protège et soutient des salariés en cette période de confinement. L’offre est vendue, mais si le rapport prestation sur prime est inférieur à 1, l’excédent est redistribué aux associations partenaires. Ce mécanisme de cashback, qui consiste à reverser une partie de la prime non-consommée (lorsque l’aléa n’a pas eu lieu ou que son coût est inférieur à ce qui a été provisionné), ressemble un peu à la franchise cautionnée, et a connu un nouveau souffle avec la promotion de son fonctionnement par des insurtechs en France (Otherwise, Luko) et dans le monde (Lemonade).

La CFE (Caisse des Français de l’Etranger) a très vite créé un produit spécifique pour prendre en charge les soins liés au virus (dépistage, soins, etc.), pour les expatriés.

Étendre ses services au-delà de son activité ou de son cœur de cible

A l’image de la MNH ou d’AXA, plusieurs acteurs ont mis à disposition gratuitement des lignes téléphoniques de soutien psychologique (avec les assisteurs), à destination des soignants sur-mobilisés et même du grand public, sans qu’ils soient nécessairement adhérents chez eux.

Alan propose quelques-uns de ses services gratuitement et à tous, via son application mobile (une téléconsultation, deux mois offerts sur Headspace, etc.).

La Maif soutient une cible indirecte, les lycéens, en proposant à ceux préparant l’examen du baccalauréat l’accès gratuit aux hors-série de révisions du bac proposés par Le Monde (concerne les élèves de première (français) et de terminale (rattrapage)).

La Mutuelle des motards propose une plateforme de mise en relation entre personnes isolés et motards volontaires pour rendre service.

Groupama offre un mois de gazette Famileo à tous, assurés ou non, pour maintenir un lien social avec les personnes âgées isolées.

Aux Etats-Unis, Metlife propose un accompagnement pour les particuliers afin de les aider dans la gestion de leurs finances personnelles en cette période délicate (chômage en forte hausse, maintien des charges fixes). Elle a par ailleurs ouvert l’accès à une plate-forme de bien-être (LifeWorks) aux salariés de ses entreprises clientes pour les soutenir psychologiquement durant le confinement.

Des processus simplifiés en réponse aux nouveaux besoins et usages

Les contraintes pesant sur le monde physique promeuvent de facto l’usage des espaces clients, applications, intranets, etc. Sans interaction physique possible, la priorité est mise sur la simplicité et la fluidité. C’est une opportunité d’accélération pour les offres innovantes (souvent le fruit de jeunes acteurs), comme :

  • L’insurtech allemande Getsafe, qui a vu notablement croitre son nombre de souscriptions sur le mois de mars (10k affaires nouvelles), alors que l’activité commerciale des réseaux physiques est nécessairement freinée.
  • L’offre de Wilov, qui propose une assurance auto à l’usage (en fonction des kilomètres parcourus), et dont le tarif reflète le confinement actuel.

Le principal enjeu de ces nouveaux acteurs et de ces nouvelles offres est de se faire connaître, et de convaincre suffisamment de monde pour atteindre une taille critique : en éclairant plus précisément les limites de certaines garanties actuelles, le confinement peut permettre ce développement.

Aux Etats-Unis la demande de protection (via des temporaire-décès) a crû avec le contexte, sans que les capacités de souscription suivent (en particulier l’examen médical alors que les services de soins sont saturés). Haven Life a donc facilité et élargi sa base de souscription sans examen médical, en modifiant son algorithme et renvoyant les cas le nécessitant vers ses souscripteurs pour déterminer la qualité du risque, privilégiant l’utilisation de données de santé récentes (analyses, etc.) plutôt que d’exiger de nouveaux examens médicaux. La suppression de cette étape fluidifie le parcours client en permettant à la majorité d’entre eux de se débrouiller seul pour s’informer et souscrire un produit adapté.

 

La prévention et le selfcare enfin valorisés ?

Alors que les recours aux soins ont diminué depuis le début du confinement, les acteurs du marché bénéficient d’une opportunité de se positionner différemment.

La prévention

Souvent reléguée au second plan de l’assurance alors qu’elle en est une des composantes essentielles, la prévention est mise en valeur à travers différentes initiatives, et en particulier à travers l’accompagnement psychologique autour de la pandémie, du confinement et de leurs conséquences. Rapidement, les assureurs ont participé au lancement de la plateforme maladiecoronavirus.fr avec un questionnaire d’auto-évaluation (AG2R-LM, Malakoff-Humanis, VYV, Allianz) et ont mis à disposition les garanties d’assistance de leurs contrats (hotline téléphonique, soutien psychologique).

Le selfcare

L’isolement physique est également un temps d’opportunité pour le selfcare, c’est-à-dire les actions que l’assuré peut réaliser seul (consulter ses remboursements sur son espace en ligne, déclarer un sinistre depuis son application mobile) : la plupart des acteurs ont élargi ou facilité l’accès à la téléconsultation et communiqué sur leur espace en ligne. L’usage de la signature électronique est également clé pour conclure des contrats tout en s’assurant de la qualité du conseil à distance, en particulier en épargne.

 

Les insurtechs, plus agiles mais plus fragiles ?

Une anticipation des nouveaux besoins

Le selfcare, la souscription intégralement dématérialisée, la simplification de l’expérience client…ces initiatives sont déjà proposées par des insurtechs : ce qu’Haven Life a fait en quelques semaines, en réaction à la crise, l’insurtech Ladder Insurance le propose depuis son lancement en 2015.

Mettant en valeur les possibilités offertes par le mobile, les objets connectés, et profitant du développement de l’économie du partage, les insurtechs proposent depuis quelques années des formes d’assurance alternatives, qui semblent répondre à certaines des contraintes actuelles : assurance à la demande, assurance collaborative, etc.

Une taille encore très modeste

Pourtant, en dépit de leurs solutions innovantes, leur accès restreint aux clients réduit la portée de leurs messages. Les insurtechs n’ont pas le même poids dans la responsabilité sociétale qui incombe aux assureurs (clients moins nombreux, peu de longévité portefeuille, etc.).

C’est une période à double tranchant pour la plupart des insurtechs : elles peuvent certes promouvoir leur fluidité (100% digital), mettre en valeur la simplicité de leur usage, mais elles sont aussi exposées financièrement, avec un passif de fait plus léger, et des investissements du capital-risque freinés (ralentissement mesurable de l’investissement dans les start-ups, malgré les levées d’EasyBlue ou d’Alan courant avril), pouvant mettre en difficulté certains nouveaux acteurs dans leur phase d’expansion (recrutements, budgets d’acquisition, etc.). Pourtant, ces nouveaux acteurs se sont immédiatement positionnés, en rendant gratuits certains de leurs services (téléconsultation, application d’auto-évaluation des symptômes) ou partenariats : livraison de nourriture (Juno), outils d’apprentissage en ligne, plateforme de santé mentale (Headspace), sport et bien-être (DownDog, East Nine), etc.

Les insurtechs proposent des réponses variées (liste non-exhaustive) :

  • Wemind, qui cible les travailleurs indépendants, a essentiellement fait du soutien et conseil téléphonique à sa cible
  • Digital Risks offre trois mois de responsabilité civile professionnelle à destination des métiers de santé (auxiliaires médicaux, médecins)
  • Corvus Insurance propose de fournir gratuitement aux centres de soins et hôpitaux une analyse de leurs cyber-risques, pour renforcer leur sécurité informatique.
  • Zego, qui propose des couvertures d’assurance à la demande aux chauffeurs-livreurs, leur offre 14 jours d’assurance gratuite
  • Wefox, une des plus grosses insurtech allemande, contribue au groupe de travail sur l’application pour suivre le chemin pandémique en reconstituant les interactions d’une personne atteinte (traçage)
  • Alan, a proposé à tous (y compris non-assurés) une session de téléconsultation gratuite, deux mois d’abonnement à Headspace ainsi qu’un auto-diagnostic et des conseils pour limiter l’exposition au Covid-19
  • Flock, qui propose de l’assurance à l’usage pour les drones, a gelé ses contrats pour les clients ne pouvant plus travailler et propose gratuitement une couverture (jusqu’à 10k£) en cas d’usage du drone pour combattre le virus.

Paytm propose en Inde une assurance-maladie spécifique en cas d’atteinte au Covid-19, qu’on peut souscrire en ligne en quelques instants. De même pour PhonePe et son produit Corona Care, qui prend en charge les frais d’hospitalisation.

Conclusion 

La situation est une grande première pour tous les assureurs, qui se doivent, en parallèle de l’application de leurs PCA (Plan de Continuité des Activités), d’assumer un niveau de prestations inattendu (plus élevé en prévoyance, plus faible en Auto ou en scolaire, la matière assurable étant confinée…). Ils doivent s’organiser rapidement pour accompagner les clients les plus exposés et occuper le terrain médiatique pour compenser leur manque d’activité commerciale. La variété des initiatives des acteurs du secteur rappelle combien il est créatif dans des conditions contraignantes.

Mais de nombreux efforts de communication, d’explication sur son fonctionnement, restent à faire : la croissance soudaine de l’intérêt des travailleurs indépendants pour les garanties prévoyance (indemnités journalières en particulier), ou l’échec commercial des produits d’assurance créés par les assureurs au début des années 2000 après l’épidémie de SRAS, ou autres produits pandémiques, montrent bien qu’en temps normal, l’effort des assureurs doit aussi porter sur la sensibilisation des populations aux risques auxquelles elles sont soumises, ainsi qu’à leur assurabilité et leur prévention. Les différentes actions de soutien et d’aide mises en place depuis le début de la pandémie rappellent, si besoin était, le rôle majeur et l’immense responsabilité de l’assurance sur les plans tant économiques que sociétaux.

 

Donasian Le Nail, Consultant 

Eugénie Poyet, Senior Manager 

Sources : presse, communiqués assureurs.